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Et si Warhol avait été Suisse ?

 

La série “Et si Warhol avait été Suisse ?“ est née en 2008, de la réflexion sur la relation entre les marques emblématiques présentées sur les toiles d’Andy Warhol et sa nationalité américaine. La question semble claire, qu’aurait-il choisi de représenter s’il avait été bercé par la société de consommation suisse ? L’idée est venue deux ans plus tôt et ne convainquait pas l’artiste qui avait peur d’usurper le travail de Warhol ; c’est après avoir consulté son entourage – très enthousiaste – qu’il s’est décidé à passer à la production. Lors de sa première exposition, l’artiste qui ne maîtrisait pas encore parfaitement la sérigraphie a terminé la production quelques heures à peine avant le vernissage, le problème étant ce qu’il a utilisé comme force de son travail : la difficulté à aligner les cadres d’impression, créant des motifs uniques à chaque passage.

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La première substitution à avoir été traitée dans cette série est celle des bouteilles de Coca-Cola, qui deviennent des bouteilles de Sinalco. Les boîtes de soupe Campbell’s sont ensuite déclinées en pots de Cenovis et la série est mise sur les rails. Suivront les billets de banques – des dollars aux francs suisses – les fleurs deviendront des Edelweiss et les timbres du United States Postal Service deviennent ceux de La Poste ; certains thèmes de Warhol, les accidents de la route par exemple ou certains événements marquants, sont également re-visités à la sauce helvétique : ainsi le 9 novembre 1932, le Mur des Réformateurs ou le Conseil Fédéral apparaissent paradoxalement dans une gloire légitime à l’échelle Suisse, mais qui semble volée à l’héritage des États-Unis. Là où l’on s’attend à retrouver la statue de la Liberté, on découvre le Jet d’eau de Genève ou la tour Bel-Air de Lausanne et là où la vache était le symbole de l’industrie bovine, elle devient le symbole du secteur chocolatier en se travestissant en vache Milka.

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D’abord pensée comme un projet ponctuel, la série a été victime de son succès puisque depuis ses débuts, près de 2000 œuvres ont été produites pour une cinquantaine d’expositions. Chaque œuvre est soigneusement numérotée : les toiles suivant la numérotation générale de l’artiste tandis que les tirages sur papier sont numérotés à la production. Comme dit plus haut, chaque œuvre est unique, puisque le processus de sérigraphie implique l’usage de plusieurs cadres (un peu comme des pochoirs) qui comportent chacun un calque différent de l’image final, ce qui permet à la fois de varier la gamme chromatique, et dans la cas de Nicolas Noverraz, qui applique les cadres artisanalement, de créer de léger décalages et imperfections d’impression qui font de chaque tirage un monotype.

La série sur la surconsommation est donc ironiquement très demandée et revêt dès lors une dimension mercantile qui n’est pas sans rappeler la dynamique des séries de Warhol, qui étaient aussi surproduites pour subvenir à la demande.

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L’artiste a même utilisé les motifs de ses sérigraphies pour produire l’art postal nécessaire à ses correspondances et des sacs en papiers pour fournir à ses clients.

Tous les produits n’ont pas été inspirés par les oeuvres de Warhol, les pots d’Ovomaltine ou d’Aromat, par exemple sont simplement des produits marquants et familiers pour le consommateur Suisse qui voit véritablement l’aspect sous-jacent du travail : la mise en avant de la valeur esthétique des biens de consommation.

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L’artiste joue aussi sur les couleurs, puisque dans chaque série on peut retrouver le même motif dans des variations étonnantes, qui permettent de se questionner sur sa connaissance des emballages des produits du quotidien. Le choix des couleurs est subtil et peut parfois être hypnotique sur de grandes toiles ou les mêmes associations de couleurs ne se répètent jamais (Sinalco ou Cenovis multicolores p.ex.). L’usage de couleurs plutôt criardes rappel non-seulement la période Pop dont l’artiste s’inspire, mais aussi l’univers de la publicité qui use de stratagème similaires pour attirer l’attention. L’on en fait usage ici plutôt pour dénoncer et interroger le consommateur sur la relation qu’il entretient avec le concept de consommation en lui mettant sous les yeux quelque chose qui n’est que la représentation modifiée et esthétisée de ce qu’il connaît en étant pourtant parfaitement évocateur de son quotidien.

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À chaque réédition de la série, une nouvelle déclinaison fait son apparition, à l’image des Fass 90, les fusils d’assauts de l’armée Suisse, dévoilés lors d’une exposition à la HEP en 2019, qui sont sérigraphiés en série verticales, comme soigneusement rangés, à l’image de l’armée et de l’industrie militaire suisse. Ceux-ci renvoient aux revolvers de Warhol, sérigraphiés prêt-à-l’emploi, là où les armes sont en vente libre.

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La série a même abouti à quelques installations : “L’argent facile“ en mai 2009, par exemple, ou de fausses liasses de billets de banques en papier marouflé sur bois étaient entreposée sur une palette à la manière des billets fraichement imprimés ; ou encore des Sugus, en emballages individuels ou d’une dizaine. Ces installations renforcent le questionnement sur la consommation puisque l’on achète, une oeuvre dont les traits sont ceux de quelque chose que l’on connaît et non plus leur seule représentation. L’artiste a déjà joué avec cela en produisant des toiles Fûts (2008).

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La série a été, plus tard, déclinée pour plusieurs pays : le Canada, la France, la Grèce, l’Espagne ou la Belgique, en réadaptant, comme pour la série Suisse, des produits de consommation locaux mais industriels, pour sensibiliser à la beauté presque fatale de ce que nous consommons.

 

AN

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